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Colloque international « Décoloniser la comparaison. Lectures transautochtones des littératures contemporaines du Canada et du reste des Amériques »

22 mai 2025

Détails

Date :
22 mai 2025
Évènement Tags:

Organisateurs

Diana Mistreanu
Simon Levesque

Lieu

UQAM
1564 Rue Saint-Denis
Montréal, Québec H2X 1K1 Canada
J-4225

Estamos cada día curtiendo nuestros cuerpos
en el trajinar de las horas,
retoñamos en minga
nos amarramos a la tierra
y como pájaros elevamos vuelo
hacia los sueños de la gente que indaga
en esta misma fuente.

Minga, Fredy Chikangana

 

À l’aurore
les forêts escaladent le dos des montagnes.
Tête renversée, jambes ouvertes,
la coupole du jour me libère.
Doucement, je referme les bras,
tendrement, je me berce.
Tous ces enfants sacrifiés,
les miens, ceux des autres,
prennent racine à mon ventre,
et les larmes montent en sève
éclatant de bouquets d’oiseaux qui s’envolent.

Femme terre, Virginia Pesemapeo Bordeleau

 

L’objectif de ce colloque international sur les littératures et les pratiques littéraires autochtones contemporaines du Canada et des Amériques est double. Il s’agira d’abord d’explorer les implications et les applications – possibles ou réalisées – de la méthodologie comparative transautochtone défendue par Chadwick Allen dans son ouvrage Trans-Indigenous: Methodologies for Global Native Literary Studies. Celle-ci fut d’abord employée dans Blood Narrative (2002) du même auteur. Faisant écho à la juxtaposition et à l’érosion de la distinction entre sang et mémoire mise en scène par l’auteur d’origine kiowa N. Scott Momaday dans The Names: A Memoir (1976), Blood Narrative consiste en une étude comparative des stratégies employées dans la construction linguistique de l’identité autochtone dans la littérature maorie de la Nouvelle-Zélande et dans les textes des Premières Nations aux États-Unis. Le livre compare notamment les discours issus de la veine activiste caractérisant la résurgence des cultures, littératures et identités autochtones à la suite de la Seconde Guerre mondiale, surtout dans les années 1960 et 1970 (voir aussi, à cet égard, Côté et Cyr 2018).

Enracinée dans la pensée décoloniale de la seconde moitié du 20e siècle et du début du 21e siècle (cf. Quijano 2000, 2007 ; Mignolo 2015 ; Mignolo et Walsh 2018 ; Ali et Dayan-Herzbrun 2024 ; voir aussi, pour le Québec dans le contexte canadien, Gettler 2016 ; Roussel 2017 ; Lemieux et Labrecque 2018 ; Giroux 2020), cette démarche comparatiste introduite au sein des études autochtones vise à décoloniser la méthodologie (Tuhiwai Smith 2021), en l’occurrence la comparaison même (Allen 2014, voir aussi Justice 2011 ; Wakeham 2017 ; Bradette 2019). Les travaux d’Allen mettent ainsi en évidence les failles des études culturelles et postcoloniales qui, jusque dans les années 2000, ont eu tendance à ignorer les réalités coloniales dans lesquelles vivent de nos jours les nations autochtones. Se donnant pour objectif d’étudier « l’acte politique qui consiste à se positionner entre deux ou plusieurs langues et systèmes culturels, en engageant activement les politiques relatives à leur asymétrie à l’intérieur de relations (post)coloniales » (2012 : 215, notre traduction), Allen établit des parallèles entre des États-nations étant à la fois postcoloniaux dans leur rapport au pouvoir européen dont ils sont devenus indépendants, et coloniaux dans leur relation aux nations autochtones vivant depuis des siècles, voire des millénaires, sur un territoire aujourd’hui colonisé.

À la différence des méthodologies s’intéressant aux pratiques culturelles et littéraires autochtones uniquement dans leur cadre d’émergence national et politique, la transautochtonité proposée par Allen souligne l’importance d’étudier les productions culturelles autochtones en les comparant non pas aux pratiques allochtones, mais à d’autres pratiques autochtones, à une échelle transnationale ou globale. En effet, bien que les peuples autochtones vivant aujourd’hui dans différents pays aient en commun une expérience de la colonisation, cette dernière s’est déroulée différemment, à différentes époques, et avec des conséquences différentes dans les diverses parties du globe. Qui plus est, la décolonisation et le contexte (post)colonial, national, culturel et politique dans lequel vivent ces groupes invitent à prendre conscience des différences qui régissent leurs productions littéraires contemporaines. Cette démarche valorise donc la souveraineté des corpus autochtones, dans un élan d’affirmation et d’autodétermination, de libération de la parole et de réinvestissement signifiant de l’oralité (cf. Womack 1999 ; Alfred 2005 ; Weaver et al. 2006), et ce, en dépit de quelques excès, par exemple la pratique relativement récente, ambiguë et problématique de l’auto-autochtonisation (Leroux et al. 2023), qui interroge la valeur de la notion d’autochtonie dans les arts et la littérature contemporaine (Uzel 2018), et le phénomène de l’appropriation artistique, culturelle ou identitaire (Uzel 2019 ; Barraband et Duquette 2022). L’approche transautochtone que nous souhaitons explorer dans le cadre de ce colloque est susceptible d’offrir une meilleure vue de la manière dont les conditions politiques, culturelles et sociales, à la fois nationales et globales, influencent la production, le champ et les pratiques littéraires autochtones contemporaines.

Lors de ce colloque, les chercheur·e·s sont invité·e·s à limiter leurs interventions au corpus littéraire autochtone des Amériques. Les productions culturelles seront lues dans une perspective comparative incluant des œuvres issues de l’une des provinces ou de l’un des territoires du Canada d’un côté, et d’une zone géographique du reste du continent, de l’autre. L’approche transautochtone est considérée par Sarah Henzi et Marie-Ève Bradette comme « un point de départ non négligeable pour les chercheur·ses, les étudiant·es, mais aussi les enseignant·es » (2023 : 5). Elle a par ailleurs déjà commencé à porter des fruits, comme la thèse d’Aline Verneau, en préparation à l’EHESS sous le titre Une littérature dite autochtone : fabrique d’une catégorie et portant sur les champs littéraires autochtones des Amériques, du Nord comme du Sud, ou l’étude comparative, également en préparation, d’Ana Kancepolsky Teichmann (Université Laval & Universidad Nacional de La Plata) sur les littératures innue et mapuche, ou encore les travaux de Malou Brouwer (2019, 2021) ou de Nicolas Beauclair (2018). En restreignant le projet de Chadwick Allen au continent américain et en l’orientant vers les comparaisons entre le Canada, d’un côté, et le reste du continent, de l’autre, ce colloque vise à commencer à construire un savoir comparatif de l’autochtonité littéraire transaméricaine, qui examine les ressemblances et interroge les différences entre des champs littéraires et des écrivain·e·s provenant de régions et de cultures différentes.

Le second objectif de ce colloque et de créer un espace où les chercheur·e·s en études autochtones (incluant les doctorant·e·s et postdoctorant·e·s), de plus en plus nombreux·euses aujourd’hui, qu’ils soient autochtones ou allochtones, puissent partager leur savoir et réfléchir ensemble à la possibilité de contribuer au développement et à la consolidation de leur champ d’expertise par l’élaboration collective d’une pratique critique de la recherche transautochtone américaine en études littéraires.

Crédit photo : Aux Sauterelles river, Côte-Nord, Jacques Claveau. 1945, Fonds Ministère de la Culture et des Communications , Bibliothèque et Archives nationales du Québec

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